Le homard de nos régions, le Homarus Americanus, est timide et vit la nuit. Il a une prédilection pour les fonds marins sombres et escarpés, où il se cache pour échapper à ses prédateurs. Depuis le siècle dernier, en raison de son goût succulent, il est devenu un mets de choix, presque une icône culturelle, recherché dans le monde entier: c’est aujourd’hui le premier produit de la mer exporté par le Canada. Qui ne s’en est pas déjà régalé, avec un peu de beurre à l’ail?

Bien avant qu’un zoologiste français ne le baptise d’un nom scientifique en 1837, les Innus de la Côte-Nord le connaissaient sous le nom d’ashatsheu: celui qui recule. Bien avant les débuts de la pêche commerciale, de nombreux peuples autochtones du golfe du Saint-Laurent avaient fait de ce crustacé un élément de base de leur alimentation estivale. Edmond Mestenapeo, ancien chef de la communauté innue d’Unamen Shipu, à quelque 400 kilomètres en aval de Sept-Îles, explique que pour sa nation, la pêche au homard n’est pas un simple loisir: « C’est un moyen de subsistance. Comme la chasse. »

Quand on parle de pêche au homard dans l’est de l’Amérique du Nord, la plupart des gens pensent aux casiers à homards, ces cages rectangulaires en filet qui sont placées à une très grande profondeur, loin au large. Mais rares sont ceux qui ont déjà assisté à une pêche au homard à la manière traditionnelle des Autochtones. Si vous allez à Unamen Shipu, vous pourrez en être témoin… Et de près !

Dans les eaux peu profondes, le long des rives rocheuses du Saint-Laurent, là où le homard est facile à repérer, les pêcheurs innus utilisent des épuisettes, une sorte de filet de pêche à mailles doté d’un long manche. Le crustacé peut y entrer à reculons sans se blesser. « Avant, dit Edmond Mestenapeo, les Innus pêchaient avec un gros hameçon, et ça blessait parfois le homard. On a changé de méthode il y a une quarantaine d’années. L’épuisette, ça pêche bien, ça ne blesse pas le homard, et tu peux regarder ton filet pour voir si c’est une femelle ou un petit homard. Quand c’est une femelle, ou un homard de moins de quatre pouces [10 cm], c’est une remise à l’eau. C’est pour s’assurer qu’il y aura du homard pour longtemps. »

Edmond Mestenapeo est maintenant responsable du tourisme et du développement économique pour Winipeukut Nature. Avec ses collègues, il organise des excursions de trois nuits et quatre jours pour ceux qui désirent explorer le mode de vie traditionnel à Unamen Shipu. Bien que la communauté dispose d’un aéroport, la façon la plus exaltante de s’y rendre est de prendre le bateau, le Bella Desgagnés, qui met deux heures et demie pour effectuer le trajet à partir du village de Kegaska, là où se termine la route 138. Après une visite guidée de la ville, où l’artisanat autochtone est florissant et les habitants accueillants, les visiteurs sont hébergés à l’hôtel local ou dans les chalets Innuberge tout neufs, avant d’embarquer sur un zodiac ou un bateau à moteur pour un séjour de deux nuits sous la tente, sur l’île.

La saison du homard se déroule généralement du 15 mai au 15 juillet. Après quoi, les homards se reproduisent et muent. Le homard que les guides expérimentés attrapent à la belle saison est bouilli dans des chaudrons d’eau de mer, sur un feu de camp. Difficile de faire plus authentique… « On est très fiers de partager nos traditions », déclare Edmond. Et, effectivement, les traditions se transmettent: son fils de neuf ans est aujourd’hui un pêcheur de homard averti!

À la Baie des Chaleurs

Au sud-ouest d’Unamen Shipu, de l’autre côté du golfe et de la péninsule gaspésienne, les communautés micmaques de Listuguj et Gesgapegiag ont, elles aussi, une longue tradition de pêche au homard. Ici, le homard se nomme jagej, et bien que la pêche commerciale prenne de plus en plus d’ampleur, le crustacé joue encore un rôle important dans la vie des habitants, car il constitue une précieuse source de nourriture. À Listuguj, une pêche au homard d’automne est organisée pour nourrir la communauté. « Nous n’avons pas l’intention d’augmenter notre quota de pêche au-delà de ce qui est durable », explique Fred Metallic, directeur des ressources naturelles pour le gouvernement micmac de Listuguj. En outre, le tourisme s’intensifie: à Gesgapegiag, les cantines et les casse-croûte sont une halte idéale pour tous ceux qui veulent goûter au homard sans avoir à sortir en mer. Ces établissements, toujours très accueillants, vendent des homards vivants et cuits. Et le beurre à l’ail est en option.